dimanche 13 janvier 2013

3 pièces pour clarinette solo, Igor Stravinsky

Les trois pièces pour clarinette solo ont été composées en 1919 à Morges en Suisse, pour le clarinettiste amateur Werner Reinhart, afin de le remercier d'avoir été le mécène de la première représentation de l'Histoire du Soldat

Stravinsky raconte: "Pour lui prouver mes sentiments de gratitude et d'amitié, j'écrivis à son intention et lui dédiai trois pièces pour clarinette solo, instrument dont il possédait la technique et jouait volontiers dans un cercle intime d'amis."


Les 3 pièces rappellent les chants de la période 1913-1915, comme les Berceuses du chat (1915):



Et plus encore, les 3 Japanese Lyrics (1913):


La première pièce pour clarinette solo, indiquée "sempre piano e molto tranquillo" est une longue séquence méditative et tranquille, dans la nuance piano, qui utilise le registre grave de l'instrument, souligné par le choix de la clarinette en La. Remarquez la proximité avec la première et la troisième pièce des Japanese Lyrics.

La seconde est un écoulement scandé par des respirations qui abolit la barre de mesure : elle est rythme pur, complexe, structuré par les interférences des hauteurs, des durées, des accents, du phrasé. Harmoniquement atonale, elle se donne des apparences de tonalité grâce à des pôles de fixation provisoires.

La troisième est agile, canaille, rapide, un jeu diabolique d’accents déplacés et de mètres variables sur des cellules brèves dans le registre aigu de l’instrument. Elle rappelle certains passages de L'histoire du soldat.


L'œuvre est très soigneusement annotée ; Igor Stravinsky précise qu'il convient de "respecter toutes les respirations, les accents et le mouvement métronomique."

Les respirations indiquées sont quelquefois négligées par les étudiants. Or, elles ont une double vertu: elles permettent d'une part de distinguer clairement les phrases  (pour le musicien comme pour l'auditeur) et d'autre part, d'aérer la musique.

extrait de la 2ème pièce, aux éditions Chester Music

extrait de la 1ère pièce, aux éditions Chester Music
Dans cet extrait de la 1ère pièce, la première respiration après seulement 3 temps n'est pas une nécessité physique, mais cette césure permet de séparer clairement les 2 éléments de la phrase (nommons les A et B), qui sont agrégés dans la phrase suivante ("A" étant diminué rythmiquement et "B" tronqué). En séparant chaque élément (par la respiration puis par l'articulation), la structure musicale apparait alors clairement. 
Même si ce découpage des phrases est évident pour le musicien, il doit garder à l'esprit qu'il est nécessaire de le donner clairement à entendre aux auditeurs, dont certains découvrent peut-être l'œuvre.

Concernant les accents, ils sont évidemment essentiels dans une musique rythmique. On peut ajouter que le respect des chiffrages de mesure est important pour faire sonner la troisième pièce, avec l'alternance de pulsations à la noire, à la croche, ou à la croche pointée, et la succession des temps binaires ou ternaires souhaités par Stravinsky.

Dans l'exemple suivant, simplifier la métrique (certes complexe) en une succession de 3/16, réduit considérablement le jeu rythmique.
extrait de la 3ème pièce, aux éditions Chester Music

Voici d'ailleurs un commentaire édifiant de Stravinsky à ce sujet: " En ce qui concerne particulièrement Le Sacre, il m'importait surtout de mettre en place dans plusieurs morceaux les mesures quant à leur valeur métrique et de les rendre exactement telles qu'elles sont écrites. A l'exception de quelques-uns, comme par exemple Monteux et Ansermet, bien des chefs se tirent des difficultés métriques de ces pages d'une façon par trop cavalière et défigurent ainsi ma musique, et mes intentions. Voici ce qui arrive: il y en a qui, craignant de se tromper dans une suite de mesures à valeurs différentes, ne se gênent pas, pour se faciliter la tâche, de diriger cette musique en mesures égales. Évidemment, avec un procédé pareil, les temps forts et faibles se déplacent, et c'est alors aux musiciens qu'incombe la dure besogne de redresser les accents contre les nouvelles mesures improvisées par le chef.
D'autres chefs ne tentent même pas de résoudre le problème posé et transforment simplement cette musique en galimatias indéchiffrable qu'ils s'efforcent de dissimuler sous une gesticulation effrénée.
En écoutant toutes ces "interprétations artistiques", on commence à éprouver un profond respect pour l'honnête métier d'artisan, et je dois constater avec amertume combien peu l'on rencontre d'artistes qui le possèdent et qui l'appliquent."



Stravinsky distingue nettement "interprétation" et "exécution". Il apprécie "une clarté et une objectivité parfaites dans l'exécution".
Il rompt avec à l'époque romantique, où le compositeur étale ses propres tourments et conflits intérieurs. D'après Bernstein, Stravinsky "semble plutôt contempler un monde auquel il est affectivement attaché, avec un profond amour pour l'univers spécifique d'un carnaval russe, comme dans Petrouchka, ou à celui d'une Russie païenne, comme dans le Sacre, et transcrivant musicalement ce qu'ils expriment en lui. La musique qui en résulte est alors une sorte de document esthétique, non-romantique, une sorte de présentation objective. Dans Petrouchka, ce n'est pas Stravinsky que nous entendons, mais un aspect de la vie russe, transcrit dans le langage personnel de Stravinsky."

Pour Stravinsky, la musique "doit donc être transmise et non pas interprétée", et par conséquent, "la valeur de l’exécutant se mesure précisément à sa faculté de voir ce qui se trouve dans la partition et non pas à son obstination d’y chercher ce qu’il voudrait qui y fût ».
Il estime que le meilleur interprète est avant tout un infaillible exécutant, "avec la maitrise technique, un sens de la tradition et une culture aristocratique qui n'est pas entièrement susceptible d'acquisition ».
Il exige que l’on joue secco, non vibrato, senza espressivo sa musique « uniquement faite d’os ».


Comme chef d'orchestre il raconte comment il fit travailler son Octuor : "Pour que cette musique arrivât à l'ouïe du public, il s'agissait "d'aiguiser" les entrées des différents instruments, de "mettre de l'air" entre les phrases (respiration), de soigner particulièrement l'intonation, la prosodie instrumentale, l'accentuation, bref d'établir l'ordonnance et la discipline sur le plan purement sonore, auquel je donne toujours la priorité sur les éléments d'ordre pathétique."


Stravinsky, par Hoffnung
Le respect du tempo constitue le problème principal : « une de mes œuvres peut survivre à presque n’importe quoi sauf à un tempo faux ou vague ».

Voici une séance de travail du Sacre dans laquelle Bernstein cherche l'expression d'un "jazz préhistorique" par la puissance de la tenue et de la précision rythmique:



Pour terminer, voici une petite séquence récréative: après le légendaire "trop de notes, Monsieur Mozart", voici  le " trop de bruit, Monsieur Stravinsky". Voici l'anecdote racontée par Stravinsky et la réplique délicieuse: "mais où exactement?"



jeudi 10 janvier 2013

Quand les chinois comptent sur leurs doigts

Fo Guang Shan, à Taiwan

"Comme tout ce qui touche à la superstition en Chine, la symbolique des chiffres n'est pas qu' anecdotique. En voici quelques exemples:

3: répété 3 fois, 333 est un symbole d'amour, souvent utilisé sur les messageries instantanées par les amoureux...

4: le chiffre "4" n'est pas apprécié car il est l'homophone du mot "si" qui veut dire "mort". Un chinois évitera toujours, s'il le peut, de prendre un numéro de téléphone comportant un 4. De même, habiter l'appartement n°4, bâtiment n°4 au 4 de la rue, serait pour lui le pire des cauchemars! *

8: ce chiffre est censé apporter la richesse et le bonheur. Il se prononce "ba" en mandarin et "fa" en cantonnais; dans ce dernier cas, il est un homophone du mot "s'enrichir". C'est la raison pour laquelle les Jeux Olympiques en Chine n'ont pas commencé le 1er, mais le 8/08/2008!

9: il se prononce "jiu" et se trouve être l'homophone du mot "vieux, longévité". Il est de bon auspice de signer un contrat le 9, 19 ou 29 du mois, car cela sera vu comme le signe d'une relation durable avec son interlocuteur. Ce chiffre représente aussi les 9 étages du Paradis et par extension, l'éternité. On trouvera donc souvent des escaliers à 9 marches, des pagodes à 9 étages... La Cité interdite à Pékin comportait à l'origine 9 999 pièces!"

* il n'y a pas d'étage numéroté 4 dans les hôpitaux


"Les Chinois n'ont besoin que d'une seule main pour compter jusqu'à 10, alors que les occidentaux utilisent les deux. Il est important de connaître la façon dont les Chinois comptent avec leurs doigts, car elle diffère de la nôtre et peut être un obstacle à la compréhension commune:
 Quand nous indiquons avec la main le chiffre "2", un chinois comprendra donc un "8"!"

Statue du Bouddha Amitabha au monastère de Fo Guang Shan

Textes extraits de Dictionnaire insolite de la Chine, de Nathalie Martin, aux éditions Cosmopole.