samedi 23 février 2013

"Fêtes" de Debussy, pour célébrer quelques géants.

Fêtes de Debussy, fait partie de Nocturnes, un triptyque symphonique donné la première fois dans son intégralité par les Concerts Lamoureux, en 1901 .

En voici le commentaire, par Debussy: "Fêtes : c'est le mouvement, le rythme dansant de l'atmosphère avec des éclats de lumière brusque, c'est aussi l'épisode d'un cortège (vision éblouissante et chimérique) passant à travers la fête, se confondant en elle, mais le fond reste, s'obstine, et c'est toujours la fête et son mélange de musique, de poussière lumineuse participant à un rythme total."

Claude Debussy (1862-1918)

Dans la vidéo qui suit, Bernstein fait entendre lors d'un des fameux concerts éducatifs télévisés (Young People's concerts), les différents modes utilisés par Debussy dans Fêtes.

Leonard Bernstein (1918-1990)
Pour rappel, chaque mode naturel correspond à la gamme contenue dans une octave en passant par les touches blanches du piano.
Ainsi, le mode de do, appelé "ionien", correspond à notre mode majeur avec l'échelle suivante: 1-1- 1/2 -1-1-1- 1/2 (1= 1 ton ; 1/2= 1/2 ton).
Le "dorien" est le mode de ré (ré mi fa sol la si do ré): 1- 1/2 -1-1-1- 1/2 -1   Debussy l'utilise pour la mélodie dansante qui ouvre la pièce.
Le "lydien", est le mode de fa (fa sol la si do ré mi fa): 1-1-1- 1/2 -1-1- 1/2
Le "mixolydien", est le mode de sol: 1-1- 1/2 -1-1- 1/2 -1



Newton a célébré les géants du passé sur les épaules desquels il s'était juché. Il y a dans cette vidéo une belle brochette de géants, Debussy et Bernstein en tête.
Il y a aussi le New York Philharmonic, et ses solistes, dont le clarinettiste Stanley Drucker. Ainsi que le trompettiste William Vacchiano, qui fut le soliste de cet orchestre pendant 28 ans. On le voit diriger son pupitre avec une efficacité et une simplicité remarquables.

Dans son livre Au coeur de l'orchestre (éditions Fayard) Christian Merlin,  rapporte qu'en 1935, William Vacchiano "passa le même jour une audition pour le New York Philharmonic et le Metropolitan Opera, et reçut un contrat pour les deux. L'administrateur du Met lui conseilla le Philharmonique: "C'est une meilleure place, Dieu vous bénisse."
Lors du concours, Toscanini lui avait demandé de jouer trois fois de suite un passage piano de La Mer de Debussy, ce dont il s'acquitta sans difficulté.
Il mettait encore un point d'honneur à utiliser des trompettes de tonalité différente selon les musiques. Professeur à la Juilliard School pendant soixante-sept ans, on estime qu'il eut environ deux mille élèves, auxquels il était tout dévoué, comme à son métier (il ne manqua jamais un concert)."
William Vacchiano tient la partie de trompette dans cet enregistrement de "The unanswered question" de Charles Ives:



Une des autres légendes américaines est le trompettiste Adolph "Bud" Herseth, qui fut trompette solo de l'Orchestre Symphonique de Chicago pendant 52 ans.
"Et la légende dit que Herseth ne fit jamais un "pain". Juste une fois, pendant le mandat de Daniel Barenboim, son dernier directeur musical. Lorsque Barenboim le regarda, surpris de cette mini-défaillance, Herseth répliqua, pince-sans-rire: "Excuse me, it's my first job." C'était vrai: entré à vingt-sept ans à l'Orchestre de Chicago, il était encore, cinquante ans après, dans son premier emploi! Barenboim disait de lui qu'il était  la "conscience artistique de l'orchestre". De fait, cet homme intègren'acceptait pas n'importe quoi. Lorsque le chef lui demanda de jouer le finale de la 4e de Brahms une octave plus haut pour que cela sonne plus brillant, il refusa tout net: "Ce concert est enregistré, je ne veux pas entrer dans l'histoire comme celui qui aura cautionné cela.". Mais si on souligne ordinairement la puissance de feu des cuivres de Chicago, Herseth n'avait rien d'une brute: beaucoup plus que sur l'aspect physique, il insistait sur la respiration et le chant, la trompette étant pour lui une extension de la voix humaine."
Il joue ici le solo introductif de la Trauermarsch de la 5ème symphonie de Gustav Mahler:


mercredi 6 février 2013

"Han" et "Jeong" chez les Coréens

Le han et le jeong sont deux sentiments propres à la culture coréenne. Les voici décrits par Martine Prost dans son très joli livre "Scènes de vie en Corée" (éditions L'Asiathèque):


"On connait la nostalgie, la tristesse ou le ressentiment. Ce sont des sentiments universels.
Le han est spécifique à la Corée. Il désigne un état psychique douloureux où se mêlent chagrin, affliction, mélancolie, nostalgie, manque, insatisfaction, désespoir, détresse, souffrance, regret, attachement, impatience, oppression, jalousie, ressentiment, lamentation, frustration, acédie..."


"Ce qui caractérise le han c'est l'absence d'espoir de se sortir de la situation dans laquelle on est tombé. C'est se sentir victime sans espoir de retour, de changement, de réparation ou de compensation, et se révolter intérieurement. Tant qu'il y a espoir de trouver une voie de sortie, on n'est pas vraiment dans le han."


"Il n'a pas d'équivalent, ni au Japon ni en Chine. Le han c'est un cri intérieur infini et profond, indissociable du contexte historique et socioculturel de la Corée. On peut parler de "han collectif" pour désigner le ressentiment que les Coréens éprouvent envers le Japon colonisateur ou envers le Nord envahisseur."


"Sans le han, Arirang, la chanson populaire la plus chère aux cœurs des Coréens, n'aurait pas la même profondeur ni la même résonance.
Sans le han, on ne percevrait pas de la même façon le pansori, expression par excellence de l'acharnement de la personne humaine à aller jusqu'au bout de sa voix pour y faire vibrer avec sensibilité et humour tout ce que le corps a pu, en l'espace d'une vie, accumuler d'amour et de désespérance."



"Des gestes de bienveillance, on en voit dans tous les pays du monde. Une vieille dame que l'on aide à descendre d'un bus, pas de quoi s'extasier! Sauf qu'en Corée un tel comportement dépasse le simple code de politesse ou d'assistance aux personnes âgées. Il est l'expression du jeong, sans lequel un Coréen n'est pas un Coréen."


"Ce terme surgit triomphalement chaque fois que l'on vient à parler avec les Coréens de leur peuple et de sa psychologie. Pour eux cela ne fait aucun doute: ils ont du jeong; et nous n'en avons pas. Qui en France prendrait le temps d'accompagner jusque chez elle une vieille dame rencontrée dans le bus? L'aider à descendre, c'est tout-à-fait envisageable, et même probable. Mais pousser la gentillesse jusqu'à lui acheter une gâterie et la raccompagner à son domicile, ce n'est pas commun."


"Le jeong est discret. Son intensité, il la tient de son talent à aller à pas feutrés, à agir en silence, sans se faire remarquer. Le propos, c'est de s'effacer  pour laisser l'acte occuper le devant de la scène. La discrétion en fait la beauté."


"Ainsi le jeong s'accorde tout-à-fait avec le bouddhisme, pour qui les humeurs, les passions et les désirs sont des phénomènes éphémères et excessifs. Le bouddhisme leur préfère le jeong, plus stable, moins échevelé et plus proche de la notion de compassion fondée, tout comme lui, sur un effacement de l'ego."


Photos d'un temple bouddhiste à Séoul, en Corée du Sud.