Cela se produit assez souvent, dans les lieux de grande foule, aux heures de pointe, dans les moments de grande bousculade et d'agitation. Par exemple à la porte du stade, quand les gens se battent pour entrer. Dans la mêlée, deux mètres devant vous, vous apercevez, de dos, un de vos plus chers amis, passionné de football comme vous. Vous le reconnaissez sans l'ombre d'un doute: les cheveux blonds négligés qui débordent un peu sur le col, et cette cicatrice sur la nuque, d'une vielle piqure de guêpe, et la façon de tenir la tête légèrement penchée à gauche, et puis le caractéristique chapeau noir à bord relevé sur les côtés, comme le portrait de Toscanini. C'est absolument lui. Pas d'erreur possible, même au milieu d'un milliard de personnes. Vous appelez: "Antonio! Antonio!" Mais il ne se retourne pas. Vous appelez plus fort. Rien. Alors vous perdez la tête. Vous excusant, suppliant, vous demandez aux gens devant de vous laisser passer. Agacés mais surpris ils vous font place. Vous faites un bond. Vous tendez la main droite pour toucher l'ami sur l'épaule."Antonio! Antonio!" Une ondulation imprévue de la foule. Ils vous repoussent. Et l'ami semble emporté, aspiré par un tourbillon soudain. Il disparait. Il s'évanouit dans le néant. Devant, alentour, des visages inconnus. Que vous importe désormais le match? Vous vous laissez entrainer en avant avec un battement de cœur atroce. Parce que vous êtes mathématiquement sûr que c'était vraiment lui, votre plus cher ami Antonio. Mais cinq longues années ont passé depuis que votre ami est mort.
Nouvelle de Dino Buzzati
Paris sous surveillance, FH
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